Les Laviolette, de Saint-Eustache à La Havane

par Marc-Gabriel Vallières
Article publié dans La Feuille de Chêne, octobre 2017, pages 4-5.

Des grandes familles seigneuriales de Saint-Eustache, on a beaucoup écrit sur les Lambert-Dumont, les Lefebvre de Bellefeuille et les Globensky. Il y avait pourtant dans ce sérail une autre famille dont peu de membres ont été étudiés jusqu'ici. Il s'agit des Laviolette.

Ce qu'on a écrit sur cette famille tient en quelques lignes. La fille du seigneur Eustache-Nicolas Lambert-Dumont, Marie-Elmire née en 1803, a épousé en 1826 Pierre Laviolette, instituteur et poète(1). Ils ont habité un manoir qui était situé dans l'enclos du verger seigneurial, à l'Ouest du premier manoir de Bellefeuille, juste devant l'actuel manoir Globensky(2). Mais même les plus férus de notre histoire régionale ne peuvent souvent nous en dire davantage. Au moins trois des enfants de ce couple ont pourtant quitté le confort de Saint-Eustache pour étendre leurs activités jusqu'aux plantations de La Havane, dans l'île de Cuba.

Tout commence par un mariage. Le 19 janvier 1853, le curé Hippolyte Moreau de Saint-Eustache bénit l'union de Narcisse-Caroline Laviolette, fille majeure de Pierre et de Marie-Elmire Lambert-Dumont, et de Pierre Lacoste, fils majeur de Bernard Lacoste et de Lucie Labat(3). Pierre Lacoste n'appartient pas à la famille Lacoste déjà établie au Québec depuis 1662 suite à l'arrivée de Cybard Couraud dit Lacoste, chirurgien d'Angoulême, ni de l'autre branche des Lacoste issue d'Alexandre Lacoste dit Languedoc, soldat né à Arles. Pierre n'est pas né au Québec mais bien dans les Pyrénées où habitent ses parents. Au moment de son mariage à Saint-Eustache, il possède et opère avec son frère Pascal une plantation de canne à sucre près de La Havane. Comment a-t-il pu rencontrer Caroline Laviolette, fille des co-seigneurs de Saint-Eustache? Nous ignorons ce détail de l'histoire, bien malheureusement.

Un peu d'histoire cubaine...

Pour mieux comprendre la suite des événements, nous devons faire une brève digression et résumer les grandes lignes de l'histoire cubaine.

Le 28 octobre 1492 l'Italien Cristoforo Colombo, mieux connu de nous sous le nom de Christophe Colomb, débarque sur l'île de Cuba et en prend possession au nom de la Couronne espagnole pour qui il travaille. Jusqu'aux années 1860, Cuba demeure une colonie espagnole basée essentiellement sur la culture de la canne à sucre dans de grandes plantations, culture opérée par des milliers d'esclaves importés de force principalement d'Afrique.

Dans les années 1860, les Cubains tentent une première fois d'acquérir leur indépendance et la guerre qui s'en suit dure dix ans, de 1868 à 1878. Malheureusement pour eux, les troupes espagnoles ont le dessus et l'île demeure une colonie. Le conflit reprend de 1895 à 1898 mais se solde, cette fois, par une invasion des troupes américaines qui vont conserver la mainmise sur l'île jusqu'à la révolution des années 1950.

En tant que propriétaires de plantations sucrières, on peut donc affirmer sans risque de se tromper que Pierre Lacoste, sa jeune épouse Caroline Laviolette et le beau-frère Pascal Lacoste sont des esclavagistes de premier ordre. Il est à noter que plusieurs membres de la famille Lacoste, outre Pierre et Pascal, ont été impliqués dans la traite des esclaves entre les Caraïbes et l'Afrique au tout début du XIXe siècle, à la suite d'Adolphe Lacoste, né aux Antilles françaises. Les liens de parenté entre ce dernier et les Lacoste de Cuba restent cependant à être établis(4).

De plus, ils vivent dans une époque troublée puisqu'il ne s'écoule qu'une dizaine d'années entre leur mariage de 1853 et le début des activités révolutionnaires.

D'autres Laviolette les rejoignent

Au moins deux des frères de Caroline Laviolette vont rejoindre les Lacoste à La Havane. Alfred-Antoine, qui serait né à Saint-Eustache en 1841, y aurait passé plusieurs années avec sa soeur après être allé étudier l'architecture à Paris(5).

En 1871, un autre frère de Caroline, Camille(6), est mentionné par le notaire Hervieux comme étant «marchand dans l'île de Cuba»(7).

Le gendre devient célèbre

Caroline Laviolette et Pierre Lacoste ont au moins une fille, prénommée Lucie. Les chances de rencontres dans la petite société française de La Havane ne sont peut-être pas très grandes, car Lucie épouse son propre cousin, Perfecto Lacoste, fils de Pascal. Perfecto est donc le neveu de Caroline(8).

Né à Cuba, Perfecto participe aux activités révolutionnaires en prenant partie contre les Espagnols. On le dit l'agent principal des insurgés pour La Havane, où sa famille possède de grandes plantations. Lorsque les Espagnols sont expulsés de l'île par les Américains en 1898, il est élu à l'unanimité maire de La Havane(9).

En conclusion

Le présent article ne constitue pas une étude exhaustive sur le sujet. Il ne vise qu'à révéler l'existence d'une page méconnue de l'histoire de Saint-Eustache qui reste à être explorée par des chercheurs qui se débrouilleront mieux que moi en espagnol et qui pourront aller consulter les archives cubaines.

Il faut noter que d'autres Laviolette vont aussi acquérir une certaine notoriété. Godefroy Laviolette, frère de Caroline, Camille et Alfred, devient un arpenteur qui fait sa marque dans toute la région des Laurentides. Établi à Saint-Jérôme, il devient le premier maire de cette ville en 1856 et y est réélu pour plusieurs mandats jusqu'en 1889. Il est aussi nommé directeur du pénitencier de Saint-Vincent-de-Paul, y est gravement blessé lors d'une émeute en 1886 et finit ses jours lourdement handicapé(10). Son fils Sévère sera aussi maire de Saint-Jérôme de 1909 à 1913.

Postface

Je dois avouer avoir eu une raison personnelle à écrire cet article. Caroline, Alfred, Camille et Godefroy Laviolette avaient aussi une autre soeur prénommée Marie-Laure. Celle-ci était la grand-mère de celle qu'on appelait dans ma famille «la tante Gabrielle» et qui était en fait la tante de mon père.

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(1) Archives de la Paroisse de Saint-Eustache (APSE), Registre des BMS, 13 novembre 1803, naissance de Marie-Elmire Lambert-Dumont; 10 janvier 1826, mariage de Pierre Laviolette et de Marie-Elmire Lambert-Dumont; 25 août 1854, sépulture de Pierre Laviolette, agé de 60 ans; 21 novembre 1883, sépulture de Marie-Elmire Lambert-Dumont.
(2) Bibliothèque et Archives nationales du Québec (ANQM), CN606,S43, greffe Cyrille H. Champagne, minute 333, 22 janvier 1861, échange entre Charles-Auguste-Maximilien Globensky et Marie-Elmire Lambert-Dumont, veuve Laviolette.
(3) APSE, Registre des BMS, 19 janvier 1853, mariage de Pierre Lacoste et de Narcisse-Caroline Laviolette.
(4) De nombreux détails sur Adolphe Lacoste sont donnés dans Craig B. Hollander, «Underground on the high seas: Commerce, character and complicity in the illegal slave trade», chapitre 7 de Capitalism by gaslight: Illustrating the economy of nineteenth-century America, University of Pennsylvania, 2015.
(5) Selon Élie-J. Auclair, Saint-Jérôme de Terrebonne, 1934, page 300. Il mentionne qu'Alfred-Antoine serait né à Saint-Eustache en 1841, mais son baptême n'est pas dans les registres paroissiaux.
(6) Charles-Michel-Camille Laviolette a été baptisé à Saint-Eustache par le curé Jacques Paquin le 29 septembre 1832.
(7) ANQM, CN606,S51, greffe Joseph-Amable Hervieux, minute 3996, 20 juin 1871.
(8) Les informations concernant le mariage de Lucie Laviolette-Lacoste et de Perfecto Lacoste, de même que sur les activités révolutionnaires de ce dernier, sont tirées de différents sites web relatifs à l'histoire cubaine. Nous n'avons cependant pas pu en vérifier l'exactitude dans les archives. Ces éléments sont donc mentionnés ici sous toutes réserves.
(9) Reno, George, «Some young Cuban leaders in Cuban reconstruction», dans The American Monthly Review of Reviews, vol. XIX, janvier 1899, page 320.
(10) L'émeute de 1886 est relatée dans Le Nord du 29 avril 1886 et sa biographie a été publiée dans La Patrie du 28 mars 1895.