Et où habitait Séraphin?

par Marc-Gabriel Vallières
Article inédit, avril 2024.

Dans un article publié il y a maintenant plus de vingt ans(1), nous avions relaté que des entrevues données par Claude-Henri Grignon, auteur d'Un homme et son péché et des Belles histoires des Pays-d'en-Haut, puis par sa fille Claire avaient permis d'identifier celui qui avait servi de modèle pour le célèbre personnage de Séraphin Poudrier, un certain Israël Bélair. En consultant les registres de la Paroisse de Sainte-Adèle, nous avions constaté qu'il avait épousé une Bernadette Desjardins (devenue la «Donalda») le 15 janvier 1895 et que celle-ci était morte en couches le 11 juin 1896.

Mais où diable habitait ce Séraphin? La consultation des recensements du Canada nous laissait croire que sa terre était située dans le 10e rang du canton Abercrombie, correspondant aujourd'hui au chemin Notre-Dame à Sainte-Adèle, mais sans pouvoir la localiser avec précision. En élargissant un peu les recherches, nous croyons avoir enfin pu résoudre cette énigme. Sa terre n'était pas située directement dans le 10e rang du canton d'Abercrombie, mais bien à l'extrémité Est de ce rang, où débute le canton Wexford. Ce cinquième rang du canton Wexford s'étend juste au Sud de ce qui est devenu Sainte-Marguerite-Station après la construction du chemin de fer Montréal & Occidental en 1892, à proximité de l'entrée Ouest de l'actuel Parc de la rivière Doncaster, au lieu-dit «relai du père Eddy».

Avant 1880, Moïse Janvry dit Bélair et son épouse Martine Guestier possèdent les deux premières terres du cinquième rang du canton Wexford, à l'extrémité du chemin Notre-Dame. Ils les ont obtenues de l'agent des terres par billets de location à une date qui reste inconnue puisque ces transactions n'étaient pas notariées. Moïse Bélair et Martine Guestier s'étaient épousés à Sainte-Adèle en 1861, mais les parents de Moïse étaient originaires de Sainte-Anne-des-Plaines. Le couple a plusieurs enfants, dont un fils prénommé Israël, baptisé à Sainte-Adèle le 7 octbre 1867, qui deviendra notre Séraphin. En 1884, ils vendent la première terre au marchand Hormisdas Biroleau dit Lafleur de Sainte-Adèle mais conservent la seconde, soit le lot numéro 2 du 5e rang du canton Wexford.

Après y avoir élevé leur famille, ils vendent la terre en septembre 1898 à leur fille Malvina, maintenant majeure mais toujours célibataire. Cette dernière la revend un mois plus tard à son frère Israël. Comme nous l'avons vu, Israël avait épousé à 28 ans Bernadette Desjardins en janvier 1895 et celle-ci était morte en couches en juin 1896 à l'âge de 19 ans, deux semaines après la naissance et le décès de leur premier enfant. Israël Bélair est donc veuf depuis plus de deux ans lorsqu'il acquiert cette terre. Il ne semble pas qu'il se soit remarié par la suite. Il conserve la terre jusqu'au 5 août 1930, lorsqu'il la vend à Charles Corbett Ronalds, un imprimeur de Montréal. Il a alors 63 ans.

Nous ne saurons jamais si Grignon a emprunté à Israël Bélair d'autres traits que l'avarice pour créer son personnage de Séraphin. Chose certaine, Bélair ne sera jamais agent des terres puisque les actes notariés nous indiquent qu'il était illettré. Lors de la vente de 1930, le notaire Marler indique savoureusement que «le dit vendeur n'a pu signer en raison de son ignorance de l'art d'écrire»...!

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(1) Vallières, Marc-Gabriel, «Qui était donc Séraphin?», dans L'Éveil, 22 mars 2003. Accessible sur Patrimoine-Laurentides à l'adresse :
https://mgvallieres.com/chronDiverses/200303.php.