Un mariage à Saint-Eustache :
les Lemoyne de Martigny
par Marc-Gabriel Vallières
Article publié dans La Feuille de Chêne, juin 2019, pages 4-5.
Le huit janvier 1855, les membres de deux familles bien connues s'empressent d'échapper aux rigueurs de cette journée d'hiver en s'engouffrant dans la maison de pierre du notaire Frédéric-Eugène Globensky, à l'endroit même où cent ans plus tard sera érigé l'immeuble de la Caisse populaire de Saint-Eustache(1). Marie-Elmire Lambert-Dumont, veuve de Pierre Laviolette et co-seigneuresse de la Rivière-du-Chêne, vient assister à la signature du contrat de mariage de sa fille majeure Marie-Laure avec le docteur Georges-Charles Lemoyne de Martigny, âgé de 29 ans et originaire de Varennes. Le lendemain neuf janvier est célébrée leur union en l'église paroissiale par le père Léonard-Aimé Desprez, curé de courte durée qui ne reste que quelques mois à Saint-Eustache.
Le docteur de Martigny est issu d'une des grandes familles de la Nouvelle-France. Son aïeul Jacques Lemoyne de Sainte-Marie, seigneur de la Trinité, né à Dieppe en 1623, est le frère de Charles Lemoyne de Longueuil dont la seigneurie est la seule à avoir été élevée au titre de baronnie sur le territoire de la colonie. L'illustre famille inclut aussi les Lemoyne d'Iberville, de Sainte-Hélène, de Maricourt et de Sérigny. Le fils de Jacques, Jean-Baptiste Lemoyne de Martigny et de la Trinité, est officier et commandant militaire et prend part, entre 1686 et 1709, à la campagne de la baie d'Hudson avec son cousin Pierre Lemoyne d'Iberville(2). Petit fait amusant, il est arrêté en février 1694 et doit comparaître devant le Conseil supérieur de la Nouvelle-France pour avoir parcouru les rues de la basse-ville de Québec « après avoir fait la débauche »... Cela ne l'empêche pas de devenir quelques temps plus tard commandant du fort Bourbon à la baie d'Hudson. Il décède en 1709 lors de la désastreuse attaque du fort Albany à la baie James. Tout au long du XVIIIe siècle et durant la première moitié du XIXe, la famille de Martigny est propriétaire de la seigneurie Notre-Dame ou Cap-de-la-Trinité. Celle-ci s'étend sur une partie de la paroisse de Varennes, en Montérégie. Jacques Lemoyne, le grand-père du docteur Charles, a quant à lui été capitaine d'un régiment(3) durant la guerre de 1812.
Né au manoir familial de Varennes le 4 janvier 1826, Charles de Martigny (il a été baptisé Georges-Charles mais n'utilise ce prénom composé que lors de son mariage) est le fils de Jacques Lemoyne de Martigny et de Suzanne-Éléonore Perrault. Il fait ses études classiques au Collège de Montréal, ses études de médecine à l'Université McGill et son internat à l'Hôpital de la Marine à Québec(4).
Le docteur Charles Lemoyne de Martigny en 1869
(photo par William Notman, musée McCord, I-15950.1)
Comme on l'a vu, il épouse Marie-Laure Laviolette à Saint-Eustache en janvier 1855. Le couple s'installe d'abord à Saint-Eustache. Il achète une maison sur la rue Saint-Eustache, à côté de celle du notaire Joseph-Amable Berthelot(5). Le terrain où était située cette maison fait maintenant partie des Cours du moulin. Ils y demeurent quatre ans(6) avant de retourner à Beauharnois jusqu'en 1869. C'est alors qu'ils déménagent à Saint-Jérôme, probablement attirés par l'arpenteur Godefroy Laviolette, né à Saint-Eustache en 1826, frère de Marie-Laure et qui est devenu premier maire de Saint-Jérôme en 1856.
Ils acquièrent à leur arrivée une maison sur un terrain situé aujourd'hui au coin Nord-Est des rues Labelle et de la Gare, au centre du village de Saint-Jérôme(7). Marie-Laure Laviolette n'y vit pas très longtemps puisqu'elle y décède le 14 novembre 1873. En 1897, le docteur de Martigny se retire à Montréal sur la rue Rachel, chez son gendre le docteur Tancrède Lamarche(8). Il décède à son tour le 4 octobre 1901 chez les Soeurs de la Providence du Mile End(9).
Camille Lemoyne de Martigny (1866-1918)
(photo tirée de Les maires de Saint-Jérôme, p. 26)
Parmi les cinq enfants du couple, l'un d'eux fait une longue carrière comme avocat à Saint-Jérôme. Camille Lemoyne de Martigny naît le 31 mai 1866 à Beauharnois. Il fait ses études au Séminaire de Sainte-Thérèse, est admis au Barreau en 1892 et épouse Marie-Louise Malouin, fille du juge Malouin. Il s'associe à l'avocat Jean Prévost, de la famille des « lions du Nord » et ils ouvrent un bureau à Saint-Jérôme, à proximité du palais de justice. Camille de Martigny devient aussi maire de Saint-Jérôme de 1915 à 1917, comme le sera aussi plus tard son fils Camille, avant de devenir juge(10). Il habitait rue Laviolette, face au Collège(11), une maison surnommée « Les Falaises »(12).
La maison de Camille Lemoyne de Martigny au 401 de la rue Laviolette à Saint-Jérôme
(photo Google Street View)
Quelques références
Auclair, Élie-J., Saint-Jérôme de Terrebonne, Saint-Jérôme, Imprimerie J.-H.-A. Labelle, 1934, pages 327-330.
Audet, Francis-J., Varennes, Montréal, Les Éditions des Dix, 1943, pages 23-25 et 34-35.
Comité de toponymie de Saint-Jérôme, Les maires de Saint-Jérôme et les conseillers municipaux, Ville de Saint-Jérôme, 1991, pages 8-9 (Godefroy Laviolette), pages 26-27 (Camille Lemoyne de Martigny).
Pothier, Bernard, « Jean-Baptiste Lemoyne de Martigny et de la Trinité », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2, Les Presses de l'Université Laval, 1969, pages 422-423.
________________
(1) Aujourd'hui la Maison du citoyen, au 184, rue Saint-Eustache.
(2) Pothier, pages 422-423 pour les données biographiques sur Jean-Baptiste Lemoyne.
(3) Audet, page 34.
(4) Auclair, pages 328-329.
(5) Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), greffe Stephen Mackay père, CN606,S31, minute 3649, 10 octobre 1855, vente par Frédéric-Eugène Globensky à Charles Lemoyne de Martigny.
(6) BAnQ, greffe Joseph Labelle, CN606,S221, minute 1166, 4 mai 1859, vente par Charles Lemoyne de Martigny à Narcisse Féré, veuve du notaire Globensky.
(7) BAnQ, greffe Arthur-A.-J. Seers, CN601,S367, minute 1270, 10 juillet 1869, vente par François Chapleau à Charles de Martigny, MD. Enregistré au Registre foncier sous le numéro 14241RA.
(8) Arrière-grand-oncle de l'auteur de ces lignes...
(9) « Feu M. le Dr Charles Le Moyne de Martigny », dans La Nation, 10 octobre 1901, page 5.
(10) Camille de Martigny fils naît à Saint-Jérôme le 3 mars 1900. Devenu avocat comme son père, il épouse Françoise Sigouin le 23 août 1939. Il est élu maire de Saint-Jérôme de 1952 à 1956. Il est nommé juge en 1958 et décède en 1978.
(11) Le site du Collège commercial de Saint-Jérôme est aujourd'hui occupé par le Palais de justice, au coin des rues Laviolette et de Martigny.
(12) La maison de Camille de Martigny père et fils existe toujours, au 401 de la rue Laviolette, au coin de la rue de Martigny.