Une famille jérômienne venue de Saint-Eustache : les Nantel
par Marc-Gabriel Vallières
Article publié dans La Feuille de Chêne, juin 2010, pages 23-25.
L'élite de la petite société du village naissant de Saint-Jérôme, tout au long du XIXe siècle, est composée presque exclusivement par les membres de cinq grandes familles. Dans l'ordre de leur arrivée, il s'agit des Testard de Montigny, des Nantel, des Prévost, des Laviolette et des Lemoine de Martigny. Trois de ces familles viennent s'établir à Saint-Jérôme en provenance de Saint-Eustache, soit les Nantel, les Laviolette et les Lemoine de Martigny.
Cette situation n'est pas surprenante. Ce sont les seigneurs de Saint-Eustache, les Lambert-Dumont, les Laviolette, les Lefebvre de Bellefeuille et, plus tard, les Globensky qui sont aussi propriétaires de l'Augmentation de la seigneurie des Mille-îles, où se développe Saint-Jérôme à partir surtout des années 1830. Un grand nombre des colons à qui sont concédées les premières terres viennent de la rivière du Chêne et il en va de même pour ceux qui prennent rapidement les commandes du nouveau village, médecins, notaires, arpenteurs et politiciens.
Pendant près de cent ans, la politique de Saint-Jérôme et de tout le comté de Terrebonne, tant municipale, provinciale que fédérale, reste contrôlée par deux de ces familles : les Prévost, des libéraux rugissants qu'on surnomme «les lions du Nord» et les Nantel, des conservateurs obstinés! Nul doute que ce portrait politique va générer d'incessants conflits entre les deux familles qui vont se poursuivre pour une bonne part du XXe siècle.
L'ancêtre des Nantel naît à Saint-Maixent dans le Bas-Poitou vers 1670. Du nom de Jean Berloin, il adopte le surnom de Nantel lors de son émigration en Nouvelle-France, vers 1690. Une commune proche de son lieu de naissance porte le nom de Nanteuil, d'où la probable source de son surnom. En novembre 1694, il épouse à Lachenaie Marguerite Forget, veuve de Jean Muloin et petite-fille, par sa mère, d'Abraham Martin dit l'Écossais. Le petit-fils de Jean Berloin dit Nantel, Joseph, abandonne le patronyme de ses ancêtres pour n'adopter que le seul nom de Nantel. Son fils Jacques, né à Sainte-Rose en 1789, s'établit à Saint-Eustache dans le Petit-Chicot. Il y meurt à 34 ans, le 26 mai 1823. Guillaume, fils de Jacques, est baptisé à Saint-Eustache le 8 mai 1816.
La maison de Bruno Nantel à Saint-Jérôme, sur la rue Labelle au coin de la rue du Palais
(photo MGV, 2003)
Guillaume apprend probablement son métier de tanneur avec son grand-père Joseph, tanneur à Sainte-Rose. Après avoir épousé Adélaïde Desjardins à Sainte-Thérèse en 1838, Guillaume s'établit dans le village de Saint-Jérôme. Sans le savoir, il va devenir le patriarche d'une grande famille de politiciens qui va régner sur le comté de Terrebonne durant un demi-siècle, à partir des années 1860. Chose rare pour un modeste tanneur, il va veiller à l'éducation de plusieurs de ses enfants en les envoyant au Séminaire de Sainte-Thérèse, ce qui non seulement leur assure un brillant avenir, mais donne aussi à sa famille une position proéminente dans la société jérômienne.
Antonin Nantel
Le premier fils de Guillaume Nantel et d'Adélaïde Desjardins, Antonin, naît à Saint-Jérôme le 16 septembre 1839. Après ses études au Séminaire de Sainte-Thérèse, il est ordonné prêtre à Montréal le 5 octobre 1862. Il devient alors professeur à ce même Séminaire avant d'en devenir le cinquième Supérieur en 1870.
Mgr Antonin Nantel vers 1862
(BAnQ P560,S2,D1,P946)
En octobre 1881, un incendie détruit entièrement le séminaire. C'est Nantel qui va veiller à la reconstruction de l'édifice que nous connaissons encore aujourd'hui comme le pavillon central du Collège Lionel-Groulx.
Devenu chanoine honoraire du diocèse de Montréal en 1894, Antonin Nantel est nommé évêque en octobre 1923. Il décède à Sainte-Thérèse le 29 juillet 1929.
Guillaume-Alphonse Nantel
Le huitième enfant de Guillaume Nantel et d'Adélaïde Desjardins, Guillaume-Alphonse, naît à Saint-Jérôme le 4 novembre 1852. Quand il atteint l'âge de douze ans, son aîné Antonin enseigne déjà à Sainte-Thérèse. Ce dernier va donc favoriser l'entrée du jeune Guillaume-Alphonse au collège.
Après son cours classique, Guillaume-Alphonse se destine au droit et devient clerc au bureau montréalais des avocats Bélanger et Ouimet. Il devient avocat en 1875. En 1880, il revient à Saint-Jérôme et achète des mains du notaire Joseph-Amable Hervieux le journal Le Nord qui avait été fondé deux ans plus tôt. Il va conserver ce journal pendant plus de vingt-cinq ans, même lorsqu'il deviendra directeur de La Presse. Il se présente pour le Parti conservateur à l'élection fédérale de 1882 et est élu député de Terrebonne. Il laisse cependant sa place à Adolphe Chapleau pour que celui-ci puisse siéger et devenir ministre et prend sa place comme député à Québec.
Guillaume-Alphonse Nantel devient Ministre des travaux publics en 1891 dans le gouvernement de Boucher de Boucherville, poste qu'il conserve dans le gouvernement Taillon de 1892 à 1895. Il occupe ensuite le poste de Ministre des terres de la Couronne de 1895 à 1896, soit jusqu'à la chute du gouvernement Flynn.
Guillaume-Alphonse Nantel vers 1900
(BAnQ P1000,S4,D83,PN1-2)
Retourné au journalisme, il décède le 3 juin 1909. Il avait épousé en 1885 Emma Tassé avec qui il avait eu deux filles, Fleurange et Antonia. Cette dernière a épousé l'avocat bien connu Athanase David.
Bruno Nantel
Un autre enfant de Guillaume Nantel et d'Adélaïde Desjardins, Bruno, naît à Saint-Jérôme le 8 novembre 1855. Comme son frère Guillaume-Alphonse, il devient avocat à Montréal en 1879 et comme lui, il revient ensuite s'installer dans son village natal de Saint-Jérôme. En 1885, il épouse Georgiana, fille de William Gauthier, un marchand de Saint-Jérôme. En guise de cadeau de mariage, ce dernier leur donne la maison qu'il s'est fait construire un an plus tôt sur la rue Principale (aujourd'hui rue Labelle), au coin de la rue Virginie (aujourd'hui la rue du Palais), face à la vieille église qui était alors située dans le Parc Labelle. Cette maison existe toujours, abritant maintenant le salon funéraire Trudel.
Bruno Nantel
(photo tirée de Les maires de St-Jérôme)
Comme son frère, Bruno s'occupe de politique! Il est commissaire d'écoles de 1895 à 1900, conseiller municipal de 1895 à 1901 puis maire de Saint-Jérôme de 1903 à 1909. En 1908 il est élu député conservateur à Ottawa, avant de devenir Ministre du revenu dans le cabinet Borden de 1911 à 1914 et enfin Commissaire des chemins de fer de 1914 à 1924. Il décède le 23 mai 1940 à Saint-Jérôme. Son fils Léopold, né en 1890, va suivre ses traces à la fois comme avocat, comme conseiller municipal de 1923 à 1929 puis comme maire de Saint-Jérôme de 1929 à 1931 puis de 1948 à 1952.
Un trait physique des Nantel à cette époque était leur petite taille à laquelle s'ajoutait selon la tradition une voix très aigue. Tous conservateurs proches du clergé, ils s'opposaient à la famille Prévost dont plusieurs des membres étaient des colosses à la barbe fournie et à la voix de stentors, libéraux et, pour certains, assez anticléricaux. Leurs rencontres devant l'ancienne église devaient être spectaculaires puisque les deux familles habitaient de part et d'autre de cette dernière sur la rue Labelle. à une époque sans télé ni Internet, la vie au milieu d'eux ne devait pas être monotone!
________________
Sources
Allaire, J.-B.-A., Dictionnaire biographique du clergé canadien-français, vol. 2 : les contemporains, Saint-Hyacinthe, Imprimerie de La Tribune, 1908.
Auclair, Élie-J., Saint-Jérôme de Terrebonne, Saint-Jérôme, Imprimerie J.-H.-A. Labelle, 1934.
Comité de toponymie de Saint-Jérôme, Les maires de Saint-Jérôme et les conseillers municipaux, Ville de Saint-Jérôme, 1991.
Laurin, Serge, Rouge, Bleu, la saga des Prévost et des Nantel, Sainte-Foy, Presses de l'Université Laval, 1999.
Nantel, Antonin, Pages historiques et littéraires, Montréal, Arbour et Dupont, 1928.