2. La toponymie

par Marc-Gabriel Vallières
Article paru dans La Feuille de Chêne, juin 2014, pages 8-9.

La seigneurie de l'Augmentation des Mille-Îles, propriété aux XVIIIe et XIXe siècles des familles Lambert-Dumont, Laviolette et de Bellefeuille, seigneurs résidant à Saint-Eustache, a conservé dans sa toponymie les vestiges de son histoire.

Les terres de la région s'étendant de la limite Nord de Saint-Jérôme jusqu'à la limite sud de Sainte-Adèle, formant aujourd'hui les municipalités de Prévost, Sainte-Anne-des-Lacs, Piedmont et Saint-Sauveur, ont été concédées pour la plupart dans les années qui ont suivi les événements de 1837.

Les responsables du lotissement et de la concession des terres ont joué un rôle dans l'opération de «nommer le pays», selon la poétique expression des géographes. De 1837 jusqu'à son décès survenu en novembre 1841, le seigneur Charles-Louis Lambert-Dumont concède de nombreux lots dans le nouveau village de Saint-Jérôme. Son jeune frère Sévère ira d'ailleurs y habiter quelques temps. Après la disparition subite des deux frères en quelques mois, c'est le beau-père «adoptif»(1) de Charles-Louis, l'honorable Gabriel Roy, qui devient tuteur de Virginie, fille de Charles-Louis alors âgée de trois ans et héritière de tous les biens de la famille. À partir de 1842, c'est donc Gabriel Roy qui est chargé de la tâche de concéder les terres dans l'Augmentation. Il continue à développer le village de Saint-Jérôme puis ouvre à la colonisation les deux côtés de la rivière du Nord, dans ce que sont aujourd'hui les villes de Prévost et de Piedmont.

À partir de 1845, deux nouvelles côtes sont ouvertes plus au nord, dans ce qui forme maintenant la Ville de Saint-Sauveur. Tout d'abord la côte Saint-Lambert, nommée bien sûr pour honorer la famille Lambert-Dumont, puis la côte Saint-Gabriel, que l'honorable Gabriel Roy se dédie à lui-même!

Fils d'un jardinier et cultivateur près du bourg de Montréal durant les dernières années du Régime français, Gabriel Roy avait fait fortune en épousant en 1799, à l'âge de 22 ans, une riche veuve de 30 ans de plus que lui, madame Dumeyniou, apparentée à la famille Sabrevois de Bleury(2).


L'extrémité Est de la côte Saint-Gabriel, vers 1940
(carte postale anonyme, collection MGV)

S'il vous arrive de pratiquer des sports d'hiver sur les pistes du Mont-Gabriel, vous vous trouvez alors à l'extrémité de la côte Saint-Gabriel qui s'étend vers l'ouest, jusqu'aux municipalités de Morin-Heights et de Mille-Îles. Quant à la côte Saint-Lambert, le centre du village de Saint-Sauveur y est entièrement situé.

En 1844, Gabriel Roy abandonne la charge de tuteur de la jeune seigneuresse, tout en conservant jusqu'à sa mort en 1848 celles reliées au développement de l'Augmentation. C'est le notaire Frédéric-Eugène Globensky qui devient le nouveau tuteur de Virginie Lambert-Dumont et qui, à partir de ce moment, seconde aussi Roy dans les opérations de développement des territoires du Nord.

En 1854, devant l'imminence de l'abolition du régime seigneurial, Globensky obtient une dispense de l'évêque de Montréal pour que son neveu Charles-Auguste-Maximillien puisse épouser la jeune héritière. Elle n'a que quinze ans et il existe un lien de consanguinité entre les deux époux(3).

Les Globensky vont aussi laisser leur marque sur la toponymie des Laurentides. à l'entrée de l'actuelle municipalité de Sainte-Anne-des-Lacs se trouve aujourd'hui le lac Guindon. Il portait à l'origine le nom de lac Globensky. Il avait toujours ce nom en 1888, lors de la confection du cadastre, tel que le montre la carte de l'arpenteur Leclair. Plusieurs années plus tard, il est renommé lac Guindon pour honorer Théophile Guindon(4), un des premiers colons de la région venu de Saint-Benoît en 1847(5). Un autre lac situé à proximité devient alors le lac des Seigneurs, pour rappeler la mémoire des Lambert-Dumont, des Laviolette et des Globensky.


Le lac Guindon, autrefois lac Globensky, vers 1940
(carte postale par Ludger Charpentier, collection MGV)

Parmi les autres noms de lieux qui nous rappellent les origines des seigneurs de Saint-Eustache, il y a aussi la côte Sainte-Elmire, nommée pour Elmire Lambert-Dumont (1802-1883), épouse de Pierre Laviolette, co-seigneur de la Rivière-du-Chêne et fille d'Eustache-Nicolas. Cette côte constitue grossièrement la moitié Nord de la municipalité de Sainte-Anne-des-Lacs. Pierre Laviolette et Elmire Lambert-Dumont habitaient un manoir situé sur le coin Sud-ouest du terrain actuel du manoir Globensky à Saint-Eustache, tout juste en face du moulin Légaré.

Il y a enfin la côte Saint-Godefroy, nommée pour Godefroy Laviolette, arpenteur et fils d'Elmire Lambert-Dumont. Établi à Saint-Jérôme, il sera celui qui va cadastrer un grand nombre de cantons et de municipalités des Laurentides. Cette côte correspond aujourd'hui à la moitié Sud de la municipalité de Sainte-Anne-des-Lacs.

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(1) Gabriel Roy est le père adoptif de Mary-Sophia Roy-Bush, épouse de Charles-Louis Lambert-Dumont.
(2) Pour plus de détails sur Gabriel Roy, consultez sa biographie par Édouard-Zotique Massicotte parue dans Bulletin de recherches historiques, vol. 31, no 9, 1925, pages 347-348. Gabriel Roy a épousé Louise Claveau, veuve d'Étienne Dumeynive le 9 avril 1799 à Notre-Dame de Montréal.
(3) Archives du Diocèse de Saint-Jérôme, fonds Paroisse de Saint-Eustache, correspondance, 19 juillet 1854.
(4) Théophile Guindon avait épousé Henriette Usereau à Saint-Benoît le 15 mai 1843, avant de venir s'établir dans l'Augmentation.
(5) Bibliothèque et Archives nationales du Québec, CN606,S14, greffe André Bouchard dit Lavallée, minute 2747, 26 juillet 1847, concession par Gabriel Roy à Théophile Guindon.