Le moulin à vent de Saint-Benoît de Mirabel
par Marc-Gabriel Vallières
Article publié dans La Feuille de Chêne, juin 2017, pages 4-5.
Plusieurs moulins à eau du pays des Deux-Montagnes ont été bien documentés. De nombreux chroniqueurs de notre histoire régionale ont longuement écrit sur les plus célèbres : le moulin Légaré, le Grand-Moulin, le moulin de la Dalle et le moulin Lauzon à la paroisse de Saint-Eustache, les moulins de Belle-Rivière à Sainte-Scholastique. D'autres sont moins illustres mais ont été clairement identifiés : le moulin du Bois-blanc (ou moulin Spénard) à la Fresnière, les moulins à farine et à scie de Saint-Augustin, le moulin de La Trappe à Oka (ou moulin de la Baie), pour ne citer que ceux-là.
Les moulins à vent de la région nous sont beaucoup moins connus. Plusieurs parmi nous ignorent même qu'ils ont existé! Il y en a pourtant eu un au village de Saint-Benoît, dans la seigneurie du Lac des Deux-Montagnes, ainsi qu'un autre dans la Grande-Côte à Saint-Eustache, dans la seigneurie de la Rivière-du-Chêne. Dans ce premier article sur le sujet, voyons ce qu'a été le moulin à vent de Saint-Benoît.
L'emplacement du moulin
Le moulin à vent du village de Saint-Benoît était situé au Nord de la côte Saint-Étienne, un peu à l'Ouest de l'actuel terrain de jeu. On peut en voir les ruines à la droite du dessin effectué par le notaire Jean-Joseph Girouard, après l'incendie de décembre 1837. Nous y avons ajouté une flèche pour mieux l'identifier. Il avait été construit sur un emplacement tiré de la terre numéro 245 au terrier de la seigneurie, qui est devenue le lot numéro 315, à l'ouverture du cadastre de la Paroisse de Saint-Benoît et qui est aujourd'hui occupée par une exploitation agricole située au 8801 de la côte Saint-Étienne.
La localisation du moulin, derrière l'église, en décembre 1837
(gravure d'après Jean-Joseph Girouard, publiée dans L'Opinion publique, 2 août 1877, page 363)
La construction du moulin
C'est en juin 1826 que les Sulpiciens, seigneurs du Lac des Deux-Montagnes, signent un bail emphytéotique avec Louis Masson, marchand de Saint-Benoît(1). Ils lui accordent le droit d'ériger un moulin à vent sur l'emplacement de trois arpents qui lui est baillé et ils lui transfèrent leur droit de banalité, qui obligeait tous les habitants à y faire moudre leur grain. Selon le contrat, le moulin doit être construit avant deux ans, ce qui en fixe la date de construction entre l'été 1826 et le printemps 1828. Le contrat stipule également qu'il sera d'une durée de trente ans et que les versements du loyer annuel, soit quarante minots de blé froment, devront s'effectuer à partir du premier jour d'octobre 1828.
Louis Masson fait construire le moulin et l'exploite jusqu'à son décès. C'est ensuite sa veuve Marie-Louise Choquette qui en continue l'opération jusqu'en 1837, tel que le démontre un acte notarié de 1843 par lequel le bail est résilié(2).
L'incendie de 1837
Le 16 décembre 1837, les troupes de Colborne et les Volontaires loyalistes incendient intégralement le village de Saint-Benoît. Le moulin à vent n'y échappe pas, comme nous le montre le dessin du notaire Girouard illustré plus haut. Cet événement est aussi relaté dans l'acte de résiliation de 1843 : «le moulin fut incendié et entièrement détruit lors du sac de Saint-Benoît»(3). Comme madame Choquette «ne trouvant point d'avantage à reconstruire le moulin»(4), elle résilie le bail de 1826 même si la période de trente ans n'est pas révolue. D'un commun accord, les Sulpiciens et elle-même annulent en 1843 le contrat et elle «remet aux dits sieurs seigneurs les trois arpents de terre avec la masure du moulin incendié»(5).
La reconstruction
Un mémoire attribué au sulpicien Joseph Comte, procureur du Séminaire de Montréal et daté de 1862 affirme que le moulin à vent de Saint-Benoît, de même qu'une maison pour le meunier, ont été construits par le Séminaire, au coût de 1400 livres, et que ce moulin a été renversé par le vent(6). Le mémoire ne mentionne aucune date pour un tel événement mais comme le premier moulin n'avait pas été érigé par les Sulpiciens, nous pouvons en conclure qu'il fait référence à la reconstruction après 1843 du moulin incendié en 1837. Comme le moulin ne rapportait presque rien, mentionne le mémoire, les Sulpiciens n'ont pas voulu le reconstruire eux-mêmes après sa destruction par le vent. Ils l'auraient à ce moment affermé aux Soeurs de l'hospice d'Youville de Saint-Benoît, moyennant le paiement d'une rente. Il est à noter que nous n'avons pu localiser d'autre preuve documentaire de l'implication des Soeurs dans la gestion du moulin.
Eustache Charlebois père
Le 9 mars 1858, messire Jean-François Lacan, curé d'Oka, loue au nom du Séminaire la terre et le moulin en pierres à Eustache Charlebois père «pour une ou plusieurs années, à la volonté du Directeur de la Mission»(7). Charlebois s'engage à «prendre le moulin en qualité de meunier», à «le faire tourner et à moudre tous les grains qui y seront apportés»(8). Le contrat n'est pas très avantageux pour Charlebois qui est entièrement responsable de l'entretien et des travaux au moulin, des animaux qui sont sur la ferme et même «des blés gâtés ou volés»!
On ne sait si ce bail a été renouvelé durant plusieurs années, mais le greffe du notaire Lemaire, qui agit en ces années comme principal procureur du Séminaire, ne contient par la suite aucun autre acte concernant le moulin.
La fin du moulin
On retrouve au recensement de la Province du Canada de 1861 la description suivante du moulin :
«Il y a près du village un moulin à vent dont tous les mouvements sont en fonte, à deux moulanges. Il a moulu 2800 minots de grains (sic). Ses profits sont de 400 livres. Les frais d'exploitation 20 livres. On n'y emploie qu'un seul homme. Ce moulin est de la valeur de 5000 livres»(9).
Au recensement de 1871, il n'y a plus aucun moulin dans la paroisse de Saint-Benoît. Le moulin à vent aura donc cessé de fonctionner dans les années 1860. A-t-il été à nouveau renversé par le vent? Ou les Messieurs de Saint-Sulpice sont-ils devenus incapables de trouver des métayers parce que le moulin n'était financièrement plus viable? Cette dernière hypothèse est très plausible puisque les Sulpiciens eux-mêmes le jugeaient peu rentable, dans le mémoire de 1862.
Quelques spéculations
Comme pour de nombreux pans de l'histoire de Saint-Benoît, beaucoup d'informations sont aujourd'hui manquantes à cause de l'incendie de décembre 1837. Nous pouvons cependant spéculer quant à certains documents, sans avoir cependant de certitudes, notamment à partir du répertoire conservé du notaire Girouard, dont le restant du greffe a été détruit.
Le mémoire de 1862 du Séminaire de Saint-Sulpice mentionne que la terre où a été construit le moulin avait été reprise du propriétaire précédent. Or en 1826, au moment où le Séminaire permet à Louis Masson de construire le moulin, Joseph Lalande dit Latreille, de la côte Saint-Étienne, remet sa terre au Séminaire par un acte de cession(10). Il y a tout lieu de croire qu'il s'agit bien de cette transaction mais nous n'en avons pas la preuve formelle, le greffe du notaire ayant brûlé.
De même en 1828, quelques mois avant la date à laquelle Masson doit avoir mis en marche le moulin, il signe un marché avec le même Joseph Latreille(11), devant le même notaire. S'agissait-il du marché de construction du moulin? Nous pouvons le supposer. Il est malheureux que nous n'ayons cependant pas de certitudes quant aux réponses à ces deux questions.
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(1) Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), greffe André Jobin, CN601,S215, minute 4053, 3 juin 1826, Bail de Jean-Henri-Auguste Roux, supérieur des Ecclésiastiques du Séminaire de Montréal à Louis Masson.
(2) BAnQ, greffe Félix-Hyacinthe Lemaire dit St-Germain, CN606,S15, minute 1438, 3 février 1843, Résiliation de bail entre les Ecclésiastiques du Séminaire de Montréal et Marie-Louise Choquette, veuve et légataire de feu Louis Masson.
(3) Ibid.
(4) Ibid.
(5) Ibid.
(6) Archives du Séminaire Saint-Sulpice de Montréal, document no 95, février 1862, Historique de l'administration temporelle de la Mission du Lac des Deux-Montagnes, attribué à Joseph Comte, p.s.s.
(7) BAnQ, greffe Félix-Hyacinthe Lemaire dit St-Germain, CN606,S15, minute 4034, 9 mars 1858, bail de Jean-François Lacan, l'un des prêtres du Séminaire de St-Sulpice de Montréal à Eustache Charlebois père.
(8) Ibid.
(9) Bibliothèque et Archives nationales du Canada, recensement de 1861, district Deux-Montagnes, sous-district Saint-Benoît, folio 59b.
(10) Il s'agit de la minute 3191 du greffe du notaire Jean-Joseph Girouard (document détruit).
(11) Il s'agit de la minute 3611 du greffe du notaire Jean-Joseph Girouard (document détruit).