6. La maison Plessis-Bélair
à Saint-Eustache

par Marc-Gabriel Vallières
Article publié dans L'Éveil, le 4 décembre 1999.

Il y a peu de maisons anciennes à Saint-Eustache dont l'architecte nous soit connu. La plupart des habitations étaient construites par des artisans qui se basaient sur leur longue expérience de la tradition plutôt que sur des plans. Une de ces rares maisons est celle bâtie en 1880 dans la rue Saint-Eustache pour la famille du marchand Daniel-Adolphe Plessis-Bélair.

C'est vers 1700 que Jean-Louis Plessis-Bélair arrive en Nouvelle-France. Il est originaire de Metz, en Lorraine, et est le fils de Jean, marchand-tanneur, et de Françoise Mathuson. Il a 22 ans en 1700. Probablement formé par son père, il s'établit comme tanneur d'abord à Québec, puis à Montréal.

Il est à noter que le nom de Plessis-Bélair n'est pas, comme beaucoup d'autres, le résultat d'un surnom. Il n'y a jamais eu de Plessis «dit» Bélair. En vieux français, un plessis est une maison au milieu d'un parc, ou un château. Plessis-Bélair signifie donc en réalité Château-Bélair.

En février 1713, Jean-Louis Plessis-Bélair, alors âgé de 35 ans, épouse Marie-Anne, fille de Jean Petit dit Boismorel, un huissier. L'épouse est âgée de 16 ans. Dans les vingt-six années qui suivent, ils auront vingt-et-un enfants, tous baptisés à Notre-Dame de Montréal. Lorsque naît le cadet, Jean-Baptiste, le père est âgé de 61 ans! Jean-Louis Plessis-Bélair décède en 1743 alors que son épouse lui survit jusqu'en 1766.

Daniel-Adolphe est de la cinquième génération de Plessis-Bélair de ce côté-ci de l'Atlantique. Né à Sainte-Rose en 1826, il épouse d'abord Julie-Emérance Féré à Saint-Eustache, en 1852. Celle-ci était la fille de l'arpenteur Emery Féré. Après le décès de sa première épouse, Daniel-Adolphe se remarie à Napierville, en 1857, avec Marie-Mélanie Laviolette, fille d'un marchand de l'endroit.


Le magasin Plessis-Bélair, au coin des rues Saint-Eustache et Dorion
(extrait d'une carte postale de P.-F. Pinsonneault, 1905)

Établis comme marchands à Saint-Eustache depuis de nombreuses années, les Plessis-Bélair décident de se faire construire une nouvelle demeure, à proximité de leur commerce. Leur boutique était située à l'intersection des rues Saint-Eustache et Dorion et est mieux connue aujourd'hui sous le nom d'un propriétaire ultérieur, Ernest Lahaie. Ils acquièrent donc à l'été 1879 une petite maison de bois située rue Saint-Eustache des mains du huissier Joseph Dorion, qui la détenait depuis 35 ans(1). Après avoir démoli la maison de bois, ils se font construire une nouvelle résidence de brique.

Afin d'avoir une demeure de prestige, Daniel-Adolphe récupère les plans qu'avaient réalisés le grand architecte Victor Bourgeau et son associé Jean-Baptiste Bourgeois pour un habitant de Sainte-Thérèse, Emery Filion. Un marché de construction est donc signé le 30 août 1880 avec un entrepreneur de Sainte-Thérèse, Benjamin Deslauriers(2).

Victor Bourgeau est connu surtout par son chef-d'oeuvre, l'Hôtel-Dieu, construit de 1859 à 1861 sur l'avenue des Pins. Il a aussi réalisé ou participé à la conception d'autres édifices prestigieux de Montréal: l'église Saint-Pierre-Apôtre, les entrepôts du Vieux-Montréal, appelés Cours Le Royer, la maison-mère des Soeurs Grises et la cathédrale Marie-Reine-du-Monde. C'est aussi lui qui a conçu l'intérieur de l'église Notre-Dame de Montréal, dans les années 1870, et qui a reconstruit l'église Saint-Jacques, après l'incendie de 1858.


La maison Plessis-Bélair au 163, rue Saint-Eustache
(photo MGV, 1995)

La jolie maison de style néogothique qui est érigée sur la Grand'Rue est aujourd'hui occupée par le restaurant Le Biniou, situé au 163, rue Saint-Eustache. Il est probable que la brique qui a servi à sa construction provienne de la fabrique de la famille Bricault dit Lamarche, sur le chemin Rivière-Sud. Daniel-Adolphe Plessis-Bélair habite ensuite sa maison jusqu'à sa mort, survenue en 1891. Son fils Alphonse va lui aussi façonner le paysage de Saint-Eustache en se faisant construire une vaste résidence rue Saint-Louis. Il ne reste malheureusement de cette dernière que le toit d'une tourelle, sur l'édifice aujourd'hui connu comme la Place Bélair.

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(1) Archives nationales du Québec à Montréal (ANQM), greffe Cyrille H. Champagne, minute 5417, 7 août 1879. Vente par Joseph Dorion à Daniel-Adolphe Plessis-Bélair.
(2) ANQM, greffe Cyrille H. Champagne, minute 5695, 30 août 1880. Marché et devis entre Benjamin Deslauriers et Daniel-Adolphe Plessis-Bélair.